Après la COVID-19, repenser les politiques sectorielles de la CEDEAO pour garantir les souverainetés.

Comme ailleurs dans le monde, la crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19 a déstabilisé de manière inattendue les structures de gouvernance, les relations économiques et sociales dans l’espace de la CEDEAO. Les États ont pris dans l’urgence, des mesures multiformes pour gérer la propagation rapide du virus en vue de sauver les vies humaines et de soutenir des pans entiers des secteurs économiques et sociaux durement touchés par le ralentissement, voire l’arrêt brutal de certaines activités de production et de distribution. 

Quelques semaines seulement après l’apparition des premiers cas de maladie dans l’espace régional, les Chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO ont convoqué une Conférence extraordinaire consacrée à la pandémie de la Covid-19. La région comptait en ce moment-là un peu plus de 6000 cas.  D’importantes mesures allant de l’instauration de l’état d’urgence, avec le couvre-feu dans certains cas, le confinement intégral ou partiel dans certains pays, la mise en quarantaine systématique des cas suspects, la fermeture des écoles, des marchés,  l’interdiction de circulation entre localités, le renforcement des contrôles aux frontières et la fermeture de nombreuses frontières aériennes, terrestres et maritimes à certains  types d’activités, ont été prises par les États. 

Même si les mesures restrictives prises semblent être nécessaires pour ralentir ou arrêter la propagation du virus, elles ont aussi un impact d’une rare intensité sur les secteurs de production, mais aussi dans le commerce des biens et des services. Le ralentissement de la production et l’interdiction des déplacements, ont coupé le lien entre les zones de production et les marchés, affectant du coup le commerce régional, surtout le commerce  transfrontalier dont les acteurs subissent de plein fouet les restrictions de déplacements. 

En plus d’accroitre la vulnérabilité des acteurs du commerce notamment les femmes, l’inaccessibilité des marchés impacte aussi directement la sécurité alimentaire et nutritionnelle. En effet, plus de 90% de la population ouest africaine s’approvisionne dans le marché sous régional pour son alimentation. Des études et observations menées sur différents corridors et marchés ouest africains confirment cette tendance. 

Face à la gravité de la situation sanitaire, tous les États ont mis en place un fonds de riposte relativement important pour appuyer les secteurs économiques les plus impactés. L’objectif de ce fonds est d’une part de fournir une aide alimentaire d’urgence aux ménages vulnérables, et d’autre part, appuyer les secteurs et les acteurs économiques impactés par la crise sanitaire. 

Force est cependant de reconnaitre que si les mesures d’urgence sont une chose, la mise en place d’une démarche de transformation structurelle des politiques nationales et régionales apparait comme nécessaire. En effet, la COVID-19 a révélé, plus que jamais la nécessité, pour les pays de la CEDEAO de réduire leur dépendance vis-à-vis des marchés extérieurs aussi bien en ce qui concerne les produits alimentaires que les produits et équipements pharmaceutiques et médicaux ainsi que d’autres biens de consommation. 

Avec plus de 350 millions de consommateurs, le marché régional ouest africain offre une taille appropriée pour supporter les productions agricoles et industrielles et permettre la création d’emplois. Il faudrait cependant, pour y arriver, agir sur plusieurs leviers dont le développement des capacités productives, la structuration de chaines de valeurs régionales et l’ouverture des marchés. 

Développer les capacités productives grâce à une meilleure articulation agriculture-industrie

Riche en matières premières agricoles, minières ou pétrolières, la région transforme peu de ses ressources et se contente de les exporter à l’état brut. C’est pourquoi  l’un des enseignements forts à tirer de la pandémie et de ses effets, c’est l’accélération de la mise en œuvre de la politique agricole de la CEDEAO, l’ECOWAP qui a bouclé sa première phase de dix ans en 2016.  L’évaluation de cette politique a montré qu’elle présente de grandes vulnérabilités. En plus de la faiblesse de l’engagement des États dans la mobilisation de ressources internes, la mauvaise articulation entre l’agriculture et l’industrie apparait aussi comme une contrainte. La production locale de produits agro-alimentaires ne suit pas le rythme démographique et l’émergence d’une classe moyenne dans la région. Dans de nombreuses filières où la CEDEAO occupe une place de choix dans la production, les produits quittent la région aussitôt après la récolte, sans connaitre la moindre transformation ou après une transformation très faible. On peut citer dans ce lot, le café et le cacao de la Cote d’Ivoire, l’arachide du Sénégal, l’hévéa du Liberia, le coton du Burkina Faso, du Bénin et du Mali, la noix d’anacarde de la Cote d’Ivoire, de la Guinée Bissau et du Sénégal, etc. Pour donner de la cohérence à cette vision, la CEDEAO doit donc finaliser dans les meilleurs délais, sa politique industrielle qui est en gestation depuis plusieurs années et peine à voir le jour. En articulant celle-ci avec les politiques agricoles et commerciales, la CEDEAO devrait réussir à développer ses capacités productives.

Structurer des chaines de valeur régionales 

L’Afrique de l’Ouest présente d’importants atouts pour la création de chaines de valeurs au niveau de la région: abondance des matières premières, émergence d’une importante classe moyenne urbaine. Autant  de potentialités attractives pour le positionnement des groupes industriels dans le marché régional à même de concurrencer avec succès, sur certains produits alimentaires, des multinationales établis dans la région depuis plusieurs décennies.

Au-delà de l’alimentation, la crise a aussi révélé la vulnérabilité de la région en ce qui concerne les produits pharmaceutiques et les équipements médicaux. Il y a donc là une opportunité de développer des chaines de valeurs sur des produits très basiques mais dont la pandémie a révélé l’importance. L’Afrique de l’Ouest importe l’essentiel de ses besoins en médicaments. Cette réalité est encore plus visible dans les pays de l’UEMOA. C’est pourquoi l’industrie pharmaceutique devrait être au centre des nouvelles priorités dans l’espace de la CEDEAO pour créer les conditions de la souveraineté sanitaire régionale.

Ouvrir les marchés et faciliter les échanges intrarégionaux. 

Produire, transformer et vendre est la logique de base de la transformation structurelle. Cette réalité doit sous-tendre tout le processus de construction et de relance post COVID-19 dans les pays de la CEDEAO. Toute en poursuivant ses efforts pour accéder aux marchés internationaux, les pays de la CEDEAO devraient cependant donner la priorité au marché régional qui offre de plus en plus d’opportunités. Mais l’offre reste encore partiellement contrainte par une série de problèmes dont la mauvaise qualité des infrastructures (énergie, routes, etc.) ainsi que les défis administratifs et institutionnels. Le schéma de libéralisation des échanges de la CEDEAO (SLE) censé organiser et faciliter le commerce intra-régional est encore généralement méconnu par les entreprises régionales. De plus, sa mise en œuvre n’a pas réussi à booster significativement le niveau des échanges et la conséquence est les  nombreux obstacles non tarifaires qui alourdissent les coûts des transactions transfrontalières. 

Saisir l’opportunité de la ZLECAf

Le 21 mars 2018, à Kigali, quarante-quatre pays Membres de l’Union Africaine (UA) ont signé l’accord instituant la Zone de Libre-échange Continentale Africaine (ZLECAf). Aujourd’hui la plus grande zone de libre-échange au monde est officiellement opérationnelle depuis le 1er janvier 2021. Malgré les défis liés à sa mise en œuvre exprimés ici et là, la Zone de libre-échange continentale Africaine permettra d’ouvrir un marché de 1,2 milliards de consommateurs pour un PIB cumulé de 2.500 milliards de dollars. Étant le premier projet phare inscrit à l’Agenda 2063 de l’Union africaine, la ZLECAf est aussi conclue dans un contexte où les pays africains s’engagent dans la réalisation de l’Agenda 2030 des Nations-Unies et devrait accroitre les chances du continent africain d’accélérer la croissance économique, renforcer l’industrialisation et de lutter efficacement contre la pauvreté, l’exclusion et le chômage des jeunes qui sont parmi les principaux facteurs de conflit, d’insécurité et de migration clandestine. 

Aujourd’hui, la ZLECAf fait partie de l’Afrique De Nos Vœux, une Afrique unie dans l’adversité. Son lancement est une démonstration de ce qui est possible. Si les Africains  agissent ensemble comme un bloc, les effets de la Covid_19 seront amoindris.

Cheikh Tidiane Dieye Directeur exécutif du Centre africain pour le commerce, l’intégration et le développement (Enda Cacid).

Zoom sur la ZLECAf

Zone de Libre-Echange Continentale Africaine

Lancées le 15 juin 2015 à Johannesburg, les négociations en vue de la mise en place de la ZLECAf ont abouti à la signature de l’accord le 21 Mars 2018 à Kigali, puis à son entrée en vigueur le 30 mai 2019 après le dépôt du 22ème instrument de ratification par la Gambie.

Pour rappel, la Zone de Libre Echange Commerciale Africaine (ZLECAf) est un projet de l’Union Africaine qui vise à mettre en place un marché continental dans le but de stimuler le commerce intra-africain.